Dravik

Chapitre débuté par Dravik

Chapitre concerne : Dravik,

Ce texte vaut une bière !

Ça faisait des jours que Dravik traînait sa carcasse le long d’une étendue d’eau infâme, un machin brun-vert qui puait la mort et qui aurait aussi bien pu être une mer qu’une mare de merde. À ce stade, ça changeait pas grand-chose.

Depuis qu’il s’était tiré de la Station Majik Circus — foutue baraque à fous où il avait cumulé un paquet de merdes : dettes de jeu, coucherie avec la femelle d’un chef de caravane, et accessoirement meurtre dudit chef, pure légitime défense qu’il disait (mais bon, les témoins, eux, avaient pas tout capté dans ce sens-là) — bah c’était galère sur galère.

La partie la plus sympa ? Foutre le camp avec une bande de caravaniers vénères au cul. Pour leur fausser compagnie, il avait pas eu d’autre choix que de passer par une zone dite Tabou. Tu vois le genre : un trou irradié où des dégénérés à moitié liquéfiés vivent planqués dans les sous-sols... sauf que là, surprise, les crevures zonent en surface et ont décidé que Dravik ferait un parfait gibier. Résultat, chasse à l’homme dans les ruines, mode lapin sous acide.

Ça l’avait forcé à traverser un marais franchement dégueulasse, un truc où tu sais jamais si c’est ton pied ou ta dignité qui reste coincée à chaque pas. Et au bout du bout ? Bah il s’était retrouvé dans un coin dont il avait jamais entendu parler, paumé, rincé, puant la vase et la lose.

Depuis, il errait, grattant quelques charognes, chopant du mulot au pif, et commençait sérieusement à se demander s’il ferait pas mieux de retourner crever du côté de Majik Circus.

C’est à ce moment-là qu’en bas d’une colline, il l’aperçut : un vieux pont pourri, planté là comme un furoncle sur le cul du monde, avec dessus ce qui ressemblait à un taudis fumeux. Quelques cheminées crachaient un brouillard qui sentait pas franchement la lavande. Autour, une bande de margoulins visiblement armés et pas là pour vendre des crêpes.

Dravik épousseta vaguement son cuir crade, se remit une clope dans le bec (qu'il avait plus, mais le geste lui manquait), et descendit la pente, l’air de dire : « J'suis pas venu ici pour souffrir, ok ? »

Arrivé à portée de voix, il leva la main et lança : 

Salut les clampins ! 
J’me présente : Dravik. Ça fait un bail que j’traîne mes godasses dans le coin, et vous êtes la première foutue caravane pas trop cramée que je croise.

lors j’me demandais... Vous embauchez ? J’sais pas faire grand-chose à part coller des baffes mais j’suis un rapide à l’apprentissage.
Même pour les trucs utiles, si faut vraiment.

C'est pas courant, mais aucun des guignols de la joyeuse bande ne lui répond. Même pas un regard. Rien. Les mecs sont là, hagards autour d’un brasero, et lui prêtent autant d’attention qu’à un caillou dans leur godasse. Il croit d’abord à une blague, un test peut-être... mais force est de constater que malgré quelques harangues balancées au groupe, personne ne bronche. Peut-être qu’il a franchi une frontière invisible où la langue et la civilité ne sont plus les mêmes… Chez lui, on répond toujours par un “Salut enculé” ou on dégaine.

Bref.
Dravik décide de contourner ces joyeux débiles. On ne sait jamais avec des gogols de ce genre. Il s’engouffre donc sur le pont.

Là, planté en plein milieu, se dresse le S-MART. Un bloc massif, sombre et fatigué, vestige d’une époque commerciale oubliée. Le vieux slogan « Shop Smart, Shop S-Mart » détonne dans le décor pourri du pont. Toutes les fenêtres sont barricadées, aucune lumière. Malgré tout, le bâtiment dégage un air de forteresse solide dans ce désert sans fin.

Devant, quelques panneaux posent l’ambiance : une bonne ambiance de merde, visiblement.
Une énorme porte capable de laisser passer un semi-remorque tient lieu d’entrée… mais pas de vigile, pas de paillasson, pas de sonnette.

Dravik recule de quelques pas pour avoir une vue confortable sur l’édifice et commence son speech, à haute voix :

« Salut la compagnie, ici Dravik. Je viens de loin... J'ai pas mal marché... Et je connais pas la région. Alors si vos publicités sont vraies, j’ai quelques trucs glanés sur ma route à échanger. Et puis je peux bosser. Un peu... Histoire de me refaire et de repartir avec un peu de matos vers chez moi ou ailleurs... Enfin pas forcément rester sur un pont qui chevauche une mare de merde, si vous voyez ce que je veux dire. »

Ce texte vaut une bière !

Le bâtiment avait l'air sérieux, presque solennel, mais face à l'écho de sa propre voix réverbérant contre la façade pourrissante, Dravik dut bien se rendre à l’évidence : il venait de franchir un genre de quatrième dimension où il était peut-être le dernier être vivant doté d’un peu de conscience. Et vu qu'il n'avait pas touché à de l’acide de batterie depuis trois mois, cette réalité nue commençait sérieusement à lui foutre les jetons.

Bref, il posa la main sur la porte. Un grincement (mix entre un mammouth qui pète et une cathédrale qui s’effondre), annonça son entrée. Derrière, une vaste cour, un foutoir improbable de cabanes bancales et de caravanes déglinguées. Quelques âmes en peine s'affairaient à des tâches obscures, martelant, réparant, ou juste perdant leur temps.

Dravik s’avança, flairant l'endroit. Ça sentait la sueur, le cambouis et vaguement le mauvais rhum coupé au méthanol. Pas de doute, un bar devait traîner quelque part.

C’est là qu’il tomba sur un type. Jeune, blond, légère barbe et chemise rose à fleurs. La vraie caricature du vacancier paumé. La tarlouse de plage version fin du monde.

Dravik le fixa sans filtre, un demi-sourire en coin :

— Salut mon pote. Dis-moi, t’aurais pas vu le bar ? Parce que moi, là, sans un godet, je vais commencer à confondre les vivants et les morts.

Pendant que Dravik déambulait dans la S-MART, devant, un tapage se fit entendre. Un groupe d'assaut armé venait de faire un carnarge. Des blessés, des morts. Puis des discours, des cris, des hurlement, un coup de poing, des vas-et-vient, et un mec, en chemise à fleur, pointé du doigt par une femme qui peine à marcher, Emma, retenue par Lani, et un homme, Mercy, doit dans ses bottes, blasé, mais ferme. Tous, ils attendaient une réponse. Sur ce qui allait se produire ensuite. 

Dravik ne pouvait pas plus mal tomber...

Dravik posa enfin son cul sur un banc moisi, dans ce qui ressemblait vaguement à un réfectoire abandonné. L’odeur ? Moisissure, sueur séchée, et plastique cramé. Confort minimum, ambiance maximum.

Soudain, un vacarme d’enfer éclata au-dehors. Baston. Pas la petite bagarre de marché pour une conserve : non, une vraie, avec hurlements, cris de rage, insultes, et le genre de fracas qu’on associe à un crâne qu’on éclate sur une tôle. Violent. Carrément violent.

Mais ici, dans le réfectoire, pas un chat. Rien. Le silence d’avant l’orage, ou d’après l’abattage. Il n’était pas armé. Il ne connaissait personne. Alors il resta assis. Discret. Chiant.

Il avait faim. Et il aurait bien torché un tarot. Il sortit le sien. Un vieux Tarot de Marseille dégueulasse, avec lequel il pigeonnait parfois un pauvre type contre un peu de gnôle ou un reste de ration. Il battit les cartes pendant que dehors, ça cognait sec.

Première carte : La Maison Dieu. Une tour foudroyée, deux pauvres types qui valdinguent dans le vide. Pas con, vu la situation.

Deuxième carte : La Tempérance. Carte chiante. Mais bon, dans le bordel ambiant, elle avait presque du sens. Il haussa les épaules et remit les cartes dans sa poche.

Il passa la tête dehors. Un vrai psychodrame. Des gens qui s'engueulaient sec, des comptes à régler, des histoires de meute. Lui, il n’en connaissait ni un ni l’autre. Et clairement, il n’avait pas envie de s’en mêler. Le chef qui l’avait vaguement accueilli causait sec avec un autre chef en mode milicien, armure de bric et frime de guerre. Une punkette asiatique hurlait à la foule comme une prêtresse en manque de chaos.

Dravik soupira. Retour à l’intérieur.

Il s’allongea sur un banc, les bras croisés derrière la tête. Une sieste s’imposait. Ce foutu endroit puait les complications sociales. Il lui faudrait un mode d’emploi. Ou une sortie.

Les deux options l’emmerdaient.

Il s’endormit.

La sieste fut de courte durée.

Dravik avait foutrement besoin de sommeil, mais il se rendit vite compte qu’être entre quatre murs solides ne garantissait pas la sécurité. Sans arme, sans repère, et ignorant tout des règles visiblement tordues qui régnaient sur ce pont, il se décida à sortir. Fallait pas moisir là comme une loque pendant que le monde s’agitait dehors.

Il fit le tour de la cour, observant la scène : du monde, du bruit, de l’agitation… Tout le monde semblait sous tension. Et au milieu du chaos, une sorte de chinoise, gueulait à tout va. Une vraie sirène de port en colère. Mais au moins, elle parlait — et fort. Voilà qui tombait bien, il avait besoin d’infos, pas d’un oracle silencieux.

Il s’approcha d’elle sans détour, les mains bien visibles, le regard franc mais fatigué.

« Et salut meuf. Moi c’est Dravik.
Je viens de débarquer, j’capte rien à ce qui se trame ici.
Un petit cours de géopolitique accéléré me ferait pas de mal, histoire de savoir si j’me suis posé dans un refuge ou dans un foutoir diplomatique. Tu peux m’éclairer ? »

Il ponctua d’un sourire qui n’était ni provocateur ni aimable. Juste franc. Il n’avait rien à cacher, et encore moins à perdre.

Lani avait repéré le type depuis quelques heures. Encore une tête inconnue, rentré ici, on ne savait comment. Quand il vient lui parler dans un langage bien trop familier, son premier réflexe est de pousser un soupir. Puis elle le jauge, de la tête au pied. Elle n'allait ni lui chanter la messe et encore moins se laisser tenir la jambe. Alors, elle répond simplement, sur un ton sec qui était le sien.

"Mec. En effet, t'es dans un foutoir diplomatique. Bon choix de mot. Donc soit tu te casses parce que t'as pas assez d'courage pour supporter la situation, soit tu te rends utile pour aider à calmer le dit foutoir. C'est à toi de voir."

Elle n'attend ni réponse, ni réaction et se dirige vers Marco, le mec à chemise qui se prenait pour le nouveau taulier, laissant Dravik planté là.
Ce texte vaut une bière !

Dravik resta effectivement planté là, se demandant s’il avait bien choisi la bonne personne pour élucider le foutoir ambiant. Puis il se rappela qu’il n’avait rien à bouffer, rien à boire, et pas la moindre arme. Et qu’on lui avait proposé de récolter de l’herbe pour payer sa pitance. Il venait donc de passer de clochard du désert à prolétaire en haillons, mais avec possibilité de grailler et de fumer des gros pétards gratos…

En pesant le pour et le contre, il se dit que, comparé à la veille, il était dans une situation ultra avantageuse. Alors il se dirigea vers la plantation en sifflotant un vieux morceau des Beach Boys.

Ce texte vaut une bière !

Résumé des épisodes précedent :

Dravik, notre héros à la gueule poussiéreuse, traîne depuis quelques jours dans SMart — un étrange village suspendu sur un vieux pont croulant, rongé par l’humidité. L’air y sent la rouille, le linge moisi, et la vase qui suinte entre les planches disjointes. Des câbles pendouillent un peu partout, des toiles bâchées claquent au vent comme des voiles crevées, et sous leurs pieds, on entend parfois l’écho de l’eau noire s’écraser contre les piliers fatigués.


Quand il avait aperçu ce vieux pont planté comme un furoncle au milieu de nulle part, il s’était dit : "Pourquoi pas." En haut, un assemblage de tôles, de cabanes suspendues et de caravanes bringuebalantes. Pas d’accueil, pas de vigile, pas de bonjour. Juste un panneau moisi : S-MART. Le genre de forteresse commerciale qu’on croirait sortie d’un spot publicitaire d’avant-guerre.


Il avait tenté un speech. Personne n’avait répondu. Pas même un regard. Pas grave. Il était entré. L’intérieur sentait le cambouis, la sueur et le rhum de contrebande. Son premier jour, il le passe affalé dans un semblant de réfectoire, où on lui balance un bol tiède de ragoût gris. Le genre de soupe qu’on sert aux détenus en fin de carrière. En sirotant l’eau fade qu’on lui tend, il se dit qu’elle a plus de goût que le plat. Mais bon. Il racle le fond sans discuter. Il a connu pire.


Dehors, ça pète. Cris, coups, bordel intégral. Une voix féminine beugle un discours. Il l’ignore. Il veut dormir. Il bat ses vieilles cartes de tarot, tire une Maison Dieu et une Tempérance, hausse les épaules et s’endort sur un banc. Des hurlements, un carnage, des types qui tombent, des comptes à régler. Et une punkette asiat gueule sur tout ce qui bouge. Il l’aborde. Elle lui confirme, sèche : "T’es dans un foutoir diplomatique. Tu restes et tu t’rends utile, ou tu dégages." Il hoche la tête. Message reçu.


En errant dans les couloirs trempés, il tombé sur un blond en chemise à fleurs — Marco — qui lui avait vaguement indiqué une direction pour bosser et peut-être survivre.


Il accepte un taf au jardin. Récolte du cannabis pour une ration. C’est pas glorieux, mais ça se fume. Il se dit que, comparé à hier, c’est presque le luxe. Il traîne un peu, fume un peu, dort beaucoup. Le hamac qu’on lui file pue la moisissure.


Et puis un soir, il retourne voir Marco. Il demande à rester, troque ses dernières réserves contre une vieille baïonnette. Pas belle, pas équilibrée, mais ça coupe. Il est content. Et comme il a toujours su tenir un comptoir mieux qu’une pelle, il demande si le bar embauche. Marco lui glisse deux noms : Emma. Ou Lena.


Alors Dravik y va.


D’un pas lent, sous les bâches détrempées et les regards en coin, il part chercher un comptoir à hanter.