Dernier Éclat : Anita

Chapitre débuté par Sinapise Jack

Chapitre concerne : Sinapise Jack, sneaky arrow, S-MART, anita,

Ce texte vaut 2 bières !

Le vent s’est levé, ce soir-là, au S-Mart. Un de ces souffles chauds et secs, chargés de poussière et de souvenirs. Il passait entre les carcasses de rayons tordus, sifflait à travers les vitres brisées du dernier étage, et descendait jusqu’au hall, où Jack s’était figé.

Face à lui.

Anita.
 

Étendue au sol, dans un silence plus lourd que la mort elle-même. Le corps arqué dans une pose étrange, presque paisible. Le cou rompu contre l’arête d’une vieille table basse, celle qu’ils avaient déplacée quelques jours plus tôt pour improviser un coin de repos.

Un simple geste, un faux mouvement. Et puis, plus rien. Plus de souffle. Plus de battement.
 

Jack ne dit rien.

Il tombe à genoux près d’elle, ses mains tremblantes se posent sur son épaule, sur sa joue froide. Il ne cherche pas à comprendre. Il n’y a rien à comprendre. Pas ici. Pas maintenant.

Cela fait des lunes qu’ils ont quitté La Kabane. Un espace commercial est devenu leur refuge, leur abri improbable au cœur des ruines. Un labyrinthe de rayons vides, de caddies renversés, de souvenirs de consommation. Un mausolée du monde d’avant.

Et Anita... Anita n’était plus tout à fait là depuis qu’ils s’y étaient installés.

Elle ne parlait plus. Pas un mot. Pas un son.

Le monde l’avait effacée peu à peu, comme un dessin à la craie sous la pluie.
 

Jack l’avait vue s’éteindre à petit feu. Jour après jour. D’abord, elle avait cessé de parler. Puis de sourire. Et enfin de regarder vraiment.

Elle était là sans y être, un fantôme au visage doux. Mais il l’avait protégée, veillée, comme on garde une flamme vacillante dans le creux des mains.

Et voilà que maintenant, cette flamme s’était éteinte pour de bon.
 

Il resta là, accroupi, les yeux perdus sur ce visage fermé.

— T’as choisi ton moment, hein, murmurait-il presque pour lui-même, la voix rauque. Même sans mots, tu hurlais encore plus que nous tous. Et là... t’as décidé de partir. Discrètement. Comme toujours.

 

Il se redressa lentement, les membres lourds, brisés. Avec une tendresse infinie, il souleva son corps amaigri et l’allongea sur les vieux coussins déchirés près du mur sud, là où la lumière de la lune traversait encore. Il lui posa son propre manteau de cuir sur le torse, celui qu’elle aimait toucher du bout des doigts quand elle avait froid.

Puis il s’assit en face d’elle, les coudes sur les genoux, les mains croisées devant son visage.

— T’étais plus là, Anita. Pas vraiment. Mais t’étais encore vivante. Et ça... ça suffisait pour que j’y croie.


Il sortit lentement de sa poche un morceau de tissu — le dernier morceau du voile qu’elle portait toujours, même dans l’oubli. Il le noua à son propre poignet, un lien discret mais solide.

— Maintenant, c’est moi qui vais me taire, Anita. C’est moi qui vais porter ce silence à ta place.


Auncune larme ne coule sur son visage durci. Jack ne pleure plus depuis longtemps. Il encaisse. Il endure.

Mais ses yeux brûlent.

— On disait rien, mais on se comprenait. T’étais plus qu’une survivante. T’étais l’écho qu’il me restait de ce qui valait encore le coup.


Il posa sa main sur le sol, comme pour sentir la dernière trace de chaleur qu’elle aurait pu laisser.

Et puis il se leva.

Pas de cérémonie. Pas d’adieu.

Juste un pas après l’autre dans le silence du S-Mart.
Un survivant de plus. Un silence de plus. Une promesse de plus.

Il ne la cherchera plus...
 

Parce qu’à partir de maintenant, Anita marchera avec lui.

Dans chaque silence.
Dans chaque regard qu’il détournera.
Dans chaque décision prise dans la solitude.

— À bientôt, petite ombre... souffla-t-il, la voix brisée, presque imperceptible.


Puis Jack disparut entre les rayons, laissant derrière lui le dernier éclat d’un monde qu’Anita n’habitait plus.

Et le S-Mart redevint calme.
Comme si, lui aussi, avait compris qu’il venait de perdre une lumière.


 

"Elle n’avait plus de mots. Mais elle en disait tant. Maintenant, c’est au silence de parler pour elle."
Anita ne parlait déjà plus vraiment quand Lani avait rejoint la communauté. Dans la petite pièce du dispensaire, elle avait vu Jack, qu'elle ne connaissait pas encore, auprès de la jeune femme. Souvent, régulièrement. Dans un échange trop souvent à sens unique. Lani avait déjà vu des personnes perdre pied, dans un mutisme presque total, quand le monde s'effondrait alors. Mais jamais de cette façon. Ce mal était nouveau et incompris pour elle.

À plusieurs reprise, elle s'était occupée un peu de la jeune femme. Lui donnant un peu de son eau, lui prêtant quelques premiers soins. Quand Jack n'était pas là et qu'elle était présente dans la petite pièce. Discrètement, sans faire de chichis. Un sourire, un regard perdu. Anita ne lui avait rendu que douceur, comme si elle n'avait plus qu'un cœur à donner. Sa force et son éclat parti depuis longtemps.

Elle était arrivée tôt ce matin-là. Elle avait découvert la jeune femme, allongée sur le sol, inerte. Une tristesse profonde l'envahit. Même s'il n'en avait dit mot, maintenant, elle connaissait un peu mieux Jack. Ils avaient picolé une bouteille de vieux rhum sur le canapé, près des dortoirs. Le mec était un peu paumé, comme tout le monde ici, un peu maladroit, mais franchement pas méchant. Elle avait senti son cœur, planqué derrière une carapace épaisse et crasse. Elle savait qu'il y avait cette jeune femme dont il ne parlait pas. Jamais, elle se serait permise de l'évoquer la première. Mais elle comprenait. Elle le voyait dans son regard entre deux phrases marrantes ou hors sujet. Lani se demandait si elle avait la même chose dans les yeux quand elle pensait à Mei. Toujours est-il que ce n'était pas sa place, ici, de s'occuper d'Anita. Aussi la laissa-t-elle, sachant que Jack ne tarderait pas... Elle ne voulait pas voir cette peine. Elle ne voulait plus voir cette souffrance. Aussi, elle anticipa et partie ailleurs. Le bâtiment était assez grand pour éviter cette peine, du moins pour quelques heures...