Vous ne l'aviez pas vu venir, et pourtant, dans un sourire figé, Feldra s'est laissé prendre, n'oubliant pas d'allumer sa radio, bien ouverte, à qui peut l'entendre. Pas celle qu'elle porte ostensiblement, non. Puisque "Trinidad", dans son besoin absolu de contrôle et d'imposer SON histoire, tel qu'il l'entend, dans sa malfaisance, se permet de penser que Feldra n'a rien calculé et lui arrache sa radio visible. Commode. Bien trop commode. Le Chaos se rit de vous Trinidad, vos règles ? Il a aussi les siennes. Vous n'êtes pas les maîtres du jeu. Nous avons aussi le contrôle de l'histoire, rien ne sera imposé à l'autre qui ne peut être lu. Le Chaos est roi. Le Néant n'est rien. Ainsi, la radio, l'autre, cueillie quelques temps plus tôt sur un cadavre dévoré, plantée à quelques pas de là, dans la terre mousseuse de cette forêt, capte tout ce qui se passe. Pour montrer la véritable frustration du sud, sa véritable limite. Son manque absolu de retenue, de contrôle, devant une enveloppe aussi superbe. Comme le Héraut l'avait prédit quelques heures plus tôt. Vous êtes dans ses griffes, et non l'inverse. Et oui Trinidad, votre jeu éternel de "je te capture, moi non plus" étant tout à fait attendu. Vos méthodes sont connues. Comment nous ne pourrions pas savoir ? Oui Trinidad, tu entends ses mots résonner dans tes multiples têtes, sauf celle qui ne peut le voir venir, puisque le talisman brouille tout. Nous savons, très pratique. Tout aussi pratique que de contrôler tout le sud avec des carcasses ambulantes que vous prétendez combattre. Sans un mot, un sourire odieux, Feldra se laisse attacher, capturer.
On peut ainsi entendre la voix de Trinidad s'emballer de plaisir, dans la colère, dans le manque de retenue. La même que la précédente entendue sur ces ondes. Aussi bête, aussi crasse. Mais peu importe, puisque cette voix est bien une et unique. Et que cela ne changera rien.
"Putain Anna reviens! On est pas une garderie hein! Ca se baise pas à cet âge en plus!"
Un écho, qui, par effet proche du talisman, ne résonne pas encore dans les radios de ces agresseurs. Le débile poursuit, vous vomissez ses mots. C'est gênant, complaisant, médiocre, bête. Feldra continue de sourire, malmenée, touchée, heurtée. Sans compter qu'elle n'est pas seule captive. Une jeune gamine. Vous entendez son identité dans votre radio, comme un souffle : "Mistral, agent de l'Ordre". Trinidad est absurde. Il agit comme tout le monde ici s'y attendait. Et le Chaos brise toutes les règles. Comme le Néant, le Chaos se fit des règles absolues. Il peut se multiplier, casser les préceptes, casser les concepts, se fendre de rire devant un monde pliable à sa volonté. Et ce n'est que le début. La voix dégueulasse reprend.
"Tu vois Ed.... trois pisseuses. Nan en vrai deux et un trans."
Mais avec elle, une autre personne, qui n'a pas réussi à convaincre le bon abruti par son genre, puisque vous l'entendez l'appeler "trans". Derrière, dans le même souffle, vous entendez... "Lilya, agent de la Vie". Trinidad représente ce vieux monde dégueulasse, gouverné par des mecs au teint orange. Il se fit du respect, il se fie de tout, et sous couvert de belles paroles, Trinidad continue de haïr, mentir et tuer. Trinidad est médiocre. Vous arrivez à en être convaincu, presque malade. Cela ne devrait pas se passer comme ça. Cela ne pourrait être exposé ainsi. Oui, Trinidad, vous entendez finalement tout. Votre colère broie votre cœur et votre patience. Et pourtant. Cette radio plantée là, interdite, presque calfeutrée, continue d'engrener et de vous recracher cette navrante vérité. Trinidad, à l'intelligence émotionnelle nulle, poursuit, parlant à une autre version de lui-même, dans sa plus grande absurdité, comme il sait si bien le faire :
"Si tu veux t'en faire une c'est comme tu veux, ça reste entre nous. Ce qui se passe dans le désert reste le désert. Ou l'bois c'est pareil. Forêt qu'on dit en french hein!
Bon.... toi deja, c'est quoi ton nom et qu'elle est ta mission au sud?"
Vous comprenez ce ton hautain. Il se croit tellement malin. Il ne sait pas qu'il s'adresse à un être millénaire, la fraction d'une entité plus puissante qui a eu mille vies. Logique, Trinidad n'a pas d'imagination. Trinidad n'est que muscle, arme et racisme. Il fait même des fautes de frappe en parlant. Amusant. Feldra sourit toujours, vous ne l'entendez pas répondre. Puis qu'elle ne réponds pas. Vous ne sentez que la gêne d'un monde sudiste en plein désarroi. Le véritable malaise est ici, nulle part ailleurs. Et ils ne pourront cette fois-ci lui forcer à écrire ses gestes ou ses paroles, même si vous connaissez tous, dans le fond, le jeu du Néant. L'arrogance se poursuit. Feldra sourit. Son regard devient braise et s'enflamme.
"Toi t'es crâmée, carbonisée même. Putain d'agent communiste adpete des chiffres.
Si tu me donnes la vérité sur ta secte... p'têt que je te donnerai pas à Olaus en sacrifice. Un fou c'mec, ça sera surement super sale. Vas y, épate moi, vous avez l'air vraiment frappa dingue de votre coté."
Les radios de tout le sud crépitent alors de nouveau. Le pendentif, quelque part dans les mains de l'entité "Edouard, agent du Néant", un autre nom qui vous est soufflé et que Trinidad contrôle, se brouille. Votre montre, Mickey le Gitan, se brouille. Dréfal sur son bateau, sous ton œil amusé, Titouan, regarde avec un sourire diabolique sa boule de cristal se brouiller elle-aussi. Un gigantesque bruit larsen explose vos tympans. Le pendentif ne fonctionne plus et les radios de "Paxton Miller, agent du Néant", celle de "Feldra, héraut du Chaos", celle d'"Edouard, agent du Néant" rentrent aussi en résonance avec le reste de vos radios à tous et toutes. D'une voix calme, froide et féminine, la Héraut du Chaos se met alors à parler. Elle et il sait qu'il et elle n'aura pas le temps d'en dire trop. Trinidad a déjà les oreilles en sang.
— Bon toutou. La prochaine fois, tu ne perdras pas autant de temps.
Et, réglé comme une horloge, vingt-deux rires simultanés se font entendre, le rire d'une clown, la folie emportée d'une sorcière, le rire d'une succube envoutante, le rire d'un gros benêt, les gazouillis d'un bébé, les rires d'un gamin odieux, le rire déglingué d'un gitan, le rire d'une scarifiée, le rire d'un bon gars toujours prêt à rendre service et à couper du bois, le rire doux d'une aventurière, le rire d'un chat, d'autres rires, sortis d'outre tombes, distordus, qui vous rappelle vous-même, Trinidad. Des rires, qui se mélangent et se heurtent et résonnent dans vos communautés.
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAREUHAHAHAHAHAREUHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HaHaHaHaHaHaHaHaHaHaHaHaHaHaH !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— MIAOUWAWAAAAAWAWAWAAAA PFF !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
— HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
La cacophonie vous incommode ou vous amuse. Parfois, vous vous entendez même dans les rires, de manière inattendue. Surprenante. Trinidad ou non. Mais dans le cas inverse, c'est plutôt bon signe pour vous, car vous sentez une nouvelle vigueur vous envahir. Vous la sublime succube, vous Mickey, vous Sorcery, toi petit bébé Micky, toi le chat de gouttière, vous le gros bonhomme bêta. Vous êtes maintenant plus fort. 
Et alors, quand celle-ci s'arrête, votre radio se meurt, inerte, comme si rien ne s'était produit. Et vous, Trinidad, vous constatez que, comme à votre tour, quand vous êtes captif, Feldra se ferme. Ses yeux blanchissent. Et vous n'avez entre les mains, qu'une vulgaire coquille vide. Vous êtes désormais libre de vous amuser avec, seul. Dans votre petit jeu pervers et terriblement triste. 
Votre montre, Mickey, retrouve son numéro 22. Et cela va de pair avec votre bonne humeur du moment.
 
 
"On me croit née du désordre, mais je suis ce qui reste quand tout s’effondre."
—  F.