Un vieux disque crachote un air d’orgue .
« Hé ben... j’me suis toujours dit que si un jour je devait me faire insulter à la radio, ça serait par une icône du cirque post-nucléaire. Check. »
Il claque la langue, amusé.
« Nan parce qu’on m’a dit, y’a pas longtemps : “Tu devrais bouger, Billy. Va voir les clowns du nord. Les vrais. Les durs. Les anciens. Ceux qu’ont la reconnaissance du terrain.” Et j’me suis dit, bon… ok, j’suis pas sectaire. Peut-être qu’ils ont des nez plus rouges, ou des ballons qui explosent avec plus de panache. »
Petit rire étouffé.
« Mais si j’me fie à ce que j’viens d’entendre…On dirait que t’es pas montée sur scène, mais sur un piédestal en béton armé. Moi j’me fous pas mal des insultes. Elles sont comme les flatulences : ça sort tout seul, c’est rarement maîtrisé, et parfois, ça fait marrer. Même quand ça pue. »
Un silence. Puis il reprend avec une voix plus douce, presque sincère :
« le cirque, c’était jamais fait pour durer. C’est un truc qu’on monte, qu’on démonte, et qu’on remonte ailleurs. Avec des planches bancales et des rêves qui grincent. Le vrai clown, c’est pas celui qui a la meilleure troupe. C’est celui qui saigne en ricanant, qui tombe et qui transforme la chute en leçon pour ceux qu’ont plus rien. C’est pas un CV, c’est une cicatrice. t’as l’air de vouloir construire un mausolée. Moi j’préfère foutre le feu à la piste et danser dans les cendres. »
Il marque une pause
« Tu veux que j’te dise un truc ? J’trouve ça… navrant. Pas parce que tu me remballes. Ça, j’ai l’habitude. Même les chiens galeux me regardent de travers. Mais c’que j’trouve triste… c’est la manière. Cette espèce de posture figée, là, genre “j’suis au-dessus”, genre “ça me touche pas”, genre “j’suis trop vieille pour ces conneries, gamin.” »
Un rire bref
« Tu sais quoi ? Moi j’pense que t’es pas éteinte. Pas encore. J’pense que quelque part dans ton p’tit cœur tout sec, planqué sous les couches de rancune, et de vieux trophées rongés par les rats… y’a encore une flamme. Toute petite. Mais elle vacille. Elle attend. Et moi ? Ben moi ça m’botte. Ça m’donne envie de foutre un coup de vent là-d’ssus. D’voir si j’peux rallumer l’incendie. Parce qu’un vrai clown, c’est pas là pour briller tout seul sous les projecteurs. Et puis, soyons francs… c’est trop triste une légende qui fait la gueule. Viens, on rigole. On s’met sur la gueule à coups de pirouettes. On pleure si faut. Mais on vit, bordel. Parce que sinon, c’est pas la fin du monde qu’on traverse… c’est juste l’ennui en costume. Et ça, c’est mille fois pire.»
Un bruit de briquet. Peut-être une clope.
« Allez. Moi j’suis là. Avec ma petite troupe de toqués et mon nez rafistolé. Si jamais tu veux descendre de ton piédestal... y’a une chaise pour toi. Pliée, rouillée, mais fidèle si jamais un jour tu veux sortir de ton trône en peau de louange pour taper un vrai bœuf de clowns. Et à la fin, peut-être qu’on rira ensemble. Ou peut-être que je finirai empalé sur un piquet avec un nez rouge dans la bouche. Mais j’te promets : j’ferai une pirouette. Rien que pour toi. »
« Allez. À bientôt peut-être, Ton Altesse. Et n’oublie pas : parfois, c’est pas la piste qui fait le clown… c’est la chute. »
Un petit bruit de cymbales cassées. Puis le signal s’éteint, lentement, comme une ampoule qui grésille jusqu’à la dernière étincelle.
« À Charleroi, on survit par habitude. Dans Fracal, c’est juste pareil, mais sans la RTBF. »