142 Lunes Plus Tard

Chapitre débuté par Lani

Chapitre concerne : Lani, wes,

Ce texte vaut une bière !

Lune 142 post-cataclysme
Le sable s’infiltre dans ses bottes usées à chaque pas. Lani grimpe un sentier pierreux, bordé de pins calcinés et de silence. Trois directions s’offrent à elle depuis l’éperon rocheux où elle s’est arrêtée pour souffler : ouest, est, sud. Aucun signe de vie, aucun repère. Depuis son émergence du bunker, elle marche depuis des heures, sous un ciel pâle, trop vaste, trop bleu. Sa radio grésille sur la bande publique, entêtante, presque moqueuse. Elle bidouille, tape dessus du plat de la main, insulte un bouton. Puis, miracle, un signal. Sa voix fend l’onde. « Allo ? Je tente quelque chose… » Le grésillement s’intensifie, puis le silence. Ce n’est qu’après un sketch douteux d’un inconnu moqueur que l’échange commence vraiment. Wes. Lani hausse un sourcil, soupire, relance sa voix dans l’éther. « J’suis toubib. J’ai des médocs. J’ai besoin d’aide ou, au moins, d’un cap. » Rien ne garantit qu’il l’aidera. Mais c’est un début.
 

Lune 13 pré-cataclysme
À l’hôpital militaire de Kuantan, la climatisation est en panne pour la troisième fois de la semaine. Dans le vestiaire exigu des internes, Lani passe un gant humide sur sa nuque, enfile un blouson sans manches par-dessus son débardeur de coton. Son badge pendouille de travers. Elle n’a dormi que deux heures. Un énième appel l’a sortie de sa couchette pour assister une équipe dans la salle de déchocage. Des militaires revenus d’une mission de « sécurisation côtière », selon les termes officiels. En réalité, des affrontements frontaliers larvés que personne n’ose nommer. Lani excelle dans l’urgence, mais refuse de fermer les yeux sur les causes. Elle discute, trop. Proteste, souvent. Les autres la surnomment « la guérisseuse rebelle ». Ça la fait sourire.
 

Lune 142 post-cataclysme
Le soleil tape dur. Elle passe une main sur son crâne rasé, laisse la crête rose vibrer légèrement sous le vent sec. « Pas très discret », se dit-elle. Mais franchement, qui viendrait la chercher ici ? L’échange radio continue. Wes a un ton étrange, entre provocation et intérêt réel. Il parle en énigmes, refuse de donner des infos claires, mais il a bien admis qu’elle émettait correctement. Un premier pas. Lani ne montre rien, mais elle serre les dents. Elle a besoin d’aide, mais elle n’est pas du genre à quémander. « Pas envie de mourir desséchée comme une figue sur un pic rocheux », murmure-t-elle. La radio crépite à nouveau. Elle ferme les yeux, tente de capter la moindre variation dans la voix de Wes, un indice, une direction. Rien. Juste des mots qui dansent comme les mirages.
 

Lune 13 pré-cataclysme
À la cafétéria de l’hôpital, Lani prend son café noir, seul luxe autorisé. Une collègue, Mei, lui glisse une enveloppe. Dedans, une brochure sur un projet expérimental en terrain reculé : une base autonome, conçue pour résister à tout effondrement systémique. Pas un bunker militaire, non. Un refuge scientifique, médical, éthique. Lani fronce les sourcils. « Pourquoi moi ? » Mei hausse les épaules : « Parce que t’es brillante. Et que tu crois pas aux réponses faciles. » Ce n’est pas une fuite, se dit-elle. C’est un repli stratégique. Un laboratoire de survie.

Lune 142 post-cataclysme
Sous une chaleur écrasante, la voix d’Emma fend les ondes privées comme une brise bienvenue. Lani reste figée un instant. Une voix calme, posée, polie. Une diplomate, qui parle d’une communauté. Elle écoute chaque mot avec une attention fébrile. Emma demande sa position. « Bonjour Emma, quelqu’un de civilisé ! » répond-elle avec un ton vif, presque trop rapide. Elle explique son isolement, les montagnes, les cadavres, l’absence d’horizon. La radio capte enfin mieux, après quelques injures marmonnées et un coup sec sur le boîtier. Lani s’excuse, mais garde son humour. « J’ai d’autres talents, promis. » Et puis elle entend ce mot : S-Mart, la communauté du pont. Un frisson lui parcourt la nuque. C’est la première fois qu’elle entend parler d’un lieu stable. Une chance ? Ou un mirage de plus ?
 

Lune 3 pré-cataclysme
Le sas du complexe autonome s’ouvre lentement dans un soupir métallique. Lani descend les marches du monte-charge, son sac sur l’épaule, un masque de filtration autour du cou. Mei est là, en combinaison légère, un badge « Technicienne de surface et comm’ ». Elle lui tend une gourde. « Tu descends avec moi alors ? » demande Lani. Mei hoche la tête, un peu trop vite. « C’est pas tous les jours qu’on enterre deux ans de notre vie pour la science. » Elles se sourient. Lani n’a pas l’habitude de s’attacher, mais Mei... Mei est différente. Leur complicité n’a pas besoin de mots. L’ascenseur s’enfonce dans la roche, et l’ancienne vie s’éteint derrière les portes coulissantes.
 

Lune 142 post-cataclysme
Lani décrit le paysage à Emma : aucune trace d’océan, des montagnes bloquant l’horizon, un carrefour de sentiers rocailleux et secs. À l’ouest, un cadavre dévoré. Au sud, des restes de lutte. À l’est, la voie semble libre, mais l’inconnu y règne. Emma l’écoute, propose des hypothèses, l’encourage. Elle parle d’eau, de chaleur, de l’été qui arrive. Lani hoche la tête, seule au milieu des pierres, comme si Emma pouvait la voir. « Je vais partir vers l’est. Merci Emma. J’ai peut-être une chance grâce à toi. » Ce n’est pas un plan, pas encore. Mais c’est une direction. Et ça suffit.
 

Lune 3 pré-cataclysme
Le bunker sent le métal et l’électricité. Chaque couloir résonne comme un ventre vide. Mei installe les capteurs pendant que Lani explore l’infirmerie, déjà fonctionnelle. Une lumière blafarde baigne les lieux. Elles partagent un repas frugal sur une caisse en plastique, assises côte à côte. Mei parle peu, mais écoute bien. Lani, elle, laisse tomber le masque. « T’as pas eu peur ? » Mei hausse les épaules. « Si. Mais j’avais plus peur de rester là-haut. » Lani fixe les murs, se demandant s’ils tiendront. Si elles tiendront. Un pacte tacite naît entre elles ce soir-là, sous les néons froids du monde enterré.
 

Ce texte vaut 2 bières !

Lune 143 post-cataclysme
Trois jours qu’elle marche. Trois jours à grignoter le strict nécessaire, à économiser la moindre goutte de sueur sous un ciel qui la brûle comme une promesse avortée. Sa gourde sonne, creuse, ses jambes plient, mais son esprit, lui, continue de tourner. Penser, analyser, anticiper. Se souvenir d’Emma. Se raccrocher à cette voix, cette carte mentale, ce « peut-être » que représente la S-Mart. Puis, un grondement. Une moto. Le moteur a tonné avant de s’éteindre, comme un râle de machine fendue. Lani a d’abord cru à un mirage, puis elle a vu la silhouette, assise sur la selle, droite, calme, arbalète pointée. Pas un mot. Juste ce regard qui perce. Lani lève les bras, lentement. Une bouteille d’eau presque vide pend mollement dans sa main gauche. Son cerveau turbine. Une arbalète en guise d’accueil, ça promet. Elle tente l’humour, comme un réflexe vital : « Jolie bécane. Tu es de quelle cavalerie ? Celle de la cité du Pont ou celle de la mort ? » Et la femme répond. Sérieuse. Froide. Elle pense que Lani sait des choses. C’est là que Lani comprend : dans ce monde, chaque mot compte plus qu’il ne le devrait. Et parfois, on peut mourir à cause d’une blague mal placée.
 

Lune 2 pré-cataclysme
Le bunker est un labyrinthe froid, saturé de silence, encore trop neuf pour être familier. Lani n’y dort pas bien. Elle tourne, bouge, cartographie mentalement chaque couloir. Ce jour-là, elle découvre l’unité d’archivage climatique, et surtout, l’espace personnel de Mei. Quelques livres alignés, un hoodie à capuche suspendu à un crochet, un chargeur bricolé à partir d’un vieux routeur. Mei est là, casque sur les oreilles, en train d’encoder un journal de bord. Elle ne remarque pas Lani tout de suite. Quand leurs regards se croisent, il n’y a pas de gêne. Juste un hochement de tête tranquille. « Je me demandais quand tu finirais par fouiner ici », glisse Mei sans sourire, mais sans agressivité. Lani hausse les épaules, amusée. Elle ne s’excuse pas.
 

Lune 143 post-cataclysme
La conversation déraille aussi vite qu’elle s’installe. Treize enchaîne les sous-entendus, parle de pacifier les “muets”, les “sans visages”. Lani comprend qu’elle a été prise pour quelqu’un d’autre. Ou quelque chose d’autre. Elle garde les bras en l’air, débit rapide, fluide, nerveux, mais net. « J’suis sortie d’un bunker, y’a trois jours. J’connais rien à ce désert. Rien à vos camps. J’ai juste... J’ai juste allumé ma radio et j’ai espéré que quelqu’un me réponde. » Elle explique tout, ou presque. Son humour de défense, la fatigue, Emma, la soif. Ses yeux ne quittent pas l’arbalète. Mais elle remarque aussi autre chose : un appui mal réparti, alors que Treize se tient sur sa bécane, une tension dans le bas du corps. Pas besoin de poser de question : c’est une foulure. Droite, mal consolidée. Ça fait mal, même si Treize fait semblant. Lani sait. Elle est médecin. Et elle n’a pas besoin d’un scanner pour diagnostiquer une cheville foutue.
 

Lune 2 pré-cataclysme
Mei travaille sur un algorithme d’alerte en cas de fuite d’azote dans les modules inférieurs. Lani, elle, teste une solution antiseptique de sa composition : base d’alcool, extrait de millepertuis et stabilisateur minéral. En parallèle, elle parle. Beaucoup. Trop peut-être. Mais Mei ne parait pas s’en plaindre. « Tu réfléchis à voix haute, tout le temps. Tu sais ? » lui dit-elle. Lani hausse un sourcil. « Oui. Et alors ? » Mei tape sur son clavier, puis ajoute sans la regarder : « Ça me rassure. J’me dis que t’es encore en train de construire. Pas de ruminer. » Lani se fige un instant, puis hoche la tête. Ça lui va.
 

Lune 143 post-cataclysme
Le ton change. Treize l’invite à s’approcher, à s’asseoir contre la moto à portée. Elle a toujours l’arbalète, mais Lani s’approche. Parce qu’elle est fatiguée. Parce que parler est parfois une arme. Parce qu’elle est curieuse aussi. Lani répond aux provocations, tente une touche de sarcasme en retour, parle de sa crête rose, de sa couleur préférée, de sa coiffure faite pour “pas se faire chier”. Treize lui masse les épaules, ses jambes par-dessus son corps fragile, pendant que Lani débite. Elle est surprise, ne comprend pas le geste, mais se laisse faire. Ce n’est pas parfait, mais c’est étrangement agréable. La chinoise détaille ses douleurs musculaires, évoque la déshydratation. Puis, à la demande de Treize, leur rôle s’échange. Elle se tourne, s’installe comme il faut et lui masse le pied douloureux. Doucement, en silence. Elle ne commente pas. Pas besoin. Ses gestes parlent pour elle et elle sait ce qu’elle fait. Treize fait tomber quelques infos : directions, routes, noms. S-Mart. Trinidad. Le monde commence à s’esquisser. Lani écoute, engrange. Chaque détail compte. Lani ne sait pas encore vers quelle communauté aller, Emma était si gentille, si avenante.
 

Lune 2 pré-cataclysme
La nuit est tombée depuis longtemps. Le générateur tourne en fond comme une bête endormie. Mei s’est installée à côté de Lani, dans l’infirmerie, sans rien dire. Elle tient une tablette sur les genoux. Lani griffonne dans un carnet, parle d’un protocole pour soigner des brûlures au troisième degré avec les moyens du bord. Mei ne commente pas. Mais elle reste là. Quand Lani s’interrompt pour boire une gorgée d’eau, Mei glisse un mot. « Si tu meurs avant la fin de ce projet, j’continue pas sans toi. » Lani la fixe, incrédule. Mei hausse les épaules. « J’te préviens juste. » C’est peut-être une blague. Peut-être pas. En tout cas, Lani ne répond pas. Mais elle referme doucement son carnet.
 

Lune 143 post-cataclysme
Treize balance une radio neuve dans le sable. Recharge solaire, écran. Lani la regarde comme si c’était un artefact divin. Elle bredouille un merci. Treize parle de Weston, de ses blagues, de ses failles. Elle parle aussi des hommes. Et de ce qu’elle a vécu. Lani écoute, puis répond. Elle évoque son rapport à l’autorité, son rapport aux hommes du labo, trop collants, la prenant pour une infirmière. Par réflexe, elle sort de sa poche un sachet hermétique, médicinal. Un onguent anti-inflammatoire qu’elle a fabriqué dans le bunker, sur base de plantes conservées. Elle le tend, propose. Treize refuse. Trop fière. Trop bien équipée. Mais elle accepte le geste. Lani reprend le sachet sans un mot. Pas vexée. Elle comprend et elle sait. Treize n’est pas le genre à dire merci. Mais elle ne tire pas. Elle partage, lui donne un peu d’eau, pour tenir quelques jours de plus. Et ça, ça vaut plus que n’importe quelle politesse.
 

Lune 2 pré-cataclysme
Dans la réserve, Lani prend le temps de répertorier le matériel médical. Elle trie, étiquette, note chaque flacon, chaque compresse, chaque seringue. C’est lent, méthodique. Ça l’apaise. Mei passe la tête dans l’encadrement de la porte. « J’ai retrouvé un vieux jeu de cartes. On joue ce soir ? » Lani sourit. « Si tu veux perdre, ouais. » Mei repart sans rien dire, mais le sourire est là. Léger. Lani s’autorise une pause. Elle s’assied sur une caisse, regarde autour. Le monde est en train de s’effondrer, mais ici, tout est encore possible. C’est fragile. Mais c’est réel.
 

Lune 143 post-cataclysme
Treize repart. Comme elle est venue. Subitement, sans détails ni chichis. Lani la regarde s’éloigner et se questionne. Quel est donc ce nouveau monde pour rendre les gens ainsi ? Sur la défensive, fragilisés, durs comme la pierre, et pourtant, quelque part, derrière la carapace, tristement humains. Lani devrait être en colère, en vouloir à la femme pour son comportement, ses menaces, son autorité. Mais elle ferme les yeux et ne voit qu’une petite fille piégée dans un monde violent et sans futur. Et qui a su, finalement, se montrer indispensable à la survie de Lani. Nourrissant en elle le faible espoir que le monde méritait encore son attention.