Chapitre débuté par Sinapise Jack
Chapitre concerne : sneaky arrow, Sinapise Jack,

Le vent soulevait des poussières anciennes, chargées de sel et de cendres.
Jack marchait depuis des heures, peut-être des jours. Il n’en savait rien. Le temps s'était dilué quelque part entre une pensée trop lourde et un ciel sans fin.
À chaque pas, le silence gagnait du terrain. Celui qu’il cherchait. Celui qui, paradoxalement, l’éloignait de lui-même.
Sous ses bottes, le sable crissait comme un vieux vinyle rayé, répétant toujours le même souvenir : un éclat de rire, un prénom à peine soufflé, une main qui s’éloigne.
Il n’attendait plus rien, sinon peut-être ce signal minuscule, ce murmure dans la radio d’Emma, ou ce regard d’un inconnu portant l’ombre de Naïs dans les yeux.
Il ne croyait plus vraiment aux miracles, mais il savait encore reconnaître les signes.
Et celui-là était là, planté devant lui, dressé dans la roche comme une cicatrice : un graffiti effacé par le temps, mais encore lisible.
“J'éspere.”
Il s’est figé.
Peut-être qu’il n’avait jamais quitté ce “début”.
Peut-être qu’on ne revient pas — on redescend juste un peu plus loin en soi.
La route n’en était plus une depuis longtemps.
Des racines humides fendaient la terre comme des nerfs à vif, et la brume descendue des hauteurs avalait le paysage par morceaux. Jack ne savait plus s’il grimpait ou s’il déclinait. Il avançait, c’est tout.
Entre les pins noirs, le silence était différent. Moins paisible. Plus... suspendu.
Tout ici semblait attendre.
Lui aussi.
Les voix s’étaient tues, même celle d’Emma. Sa radio ne captait plus rien — ou alors c’était lui qui n’émettait plus. Il n’en était pas certain.
Il ne ressentait plus la fatigue, ni la faim. Seulement cette légère perte d’équilibre, comme si son corps pesait un peu moins que d’habitude, ou comme si la gravité hésitait à le retenir.
Il s’arrêta au bord d’un précipice. À ses pieds, la vallée était noyée sous un nuage compact.
Impossible de dire s’il faisait encore jour.
Il s’assit, enfin. Dos à la falaise. Front contre ses genoux.
Et pour la première fois depuis longtemps, il laissa venir.
Pas une pensée claire. Juste une impression.
Le bruit d’un rire.
L’odeur d’un feu de camp.
Une voix — celle de Naïs ? celle d’Emma ? Peut-être la sienne ? — qui chuchotait “Reste encore un peu.”
Un battement de cœur. Deux. Puis rien.
Juste cette forêt, cette montagne, et lui.
Nulle part.
Mais pour la première fois depuis des semaines, ce nulle part ne le blessait plus. Il n’était plus perdu.
Il était en attente.

Le sol était humide, presque spongieux.
La mousse avait gagné sur la pierre, comme le temps avait gagné sur son corps. Jack s’était agenouillé là, là où la forêt se faisait plus claire, où la lumière filtrait par instants à travers les branches tordues.
Devant lui, une route.
Pas une autoroute d’avant, ni même un sentier tracé par l’homme.
Plutôt une ligne. Une idée. Un couloir flou entre les arbres, battu par les vents et les souvenirs.
Il ne la prenait pas encore. Pas tout de suite.
Ses mains reposaient sur ses cuisses, lourdes, usées. Il sentait chaque battement de son cœur cogner contre la médaille qu’il portait autour du cou.
Elle aussi semblait battre.
Le souffle court, mais pas rompu. Le corps fatigué, mais encore debout en dedans.
Jack leva les yeux vers la cime des arbres, laissa ses poumons se vider lentement. Il n’avait pas mangé depuis hier, peut-être avant. Mais ce n’était pas cela qui le retenait.
C’était la lucidité.
L’idée que reprendre la route sans force, sans clarté, ce serait la trahir.
Emma.
Elle lui avait toujours dit, même à travers les grésillements : « Ne viens pas en miettes. Viens entier. »
Alors il attendait. Il reconstruisait. Il renaissait, doucement.
Le vent remua à peine les feuilles. Le silence n’était pas complet : il y avait les oiseaux nocturnes qui s’éveillaient, les écorces qui craquaient, et quelque part, sa volonté, encore vivante.
Jack sortit une vieille gourde, but une gorgée. L’eau était tiède, métallique. Mais c’était déjà ça.
Il ferma les yeux un instant.
Il ne rêva pas.
Juste une voix, comme toujours, comme un fil ténu au milieu de la nuit :
— Je suis là, Jack. Prends ton temps. Je ne bouge pas.
Il rouvrit les yeux. Il sourit. Juste un peu.
Et cette fois, il sut :
bientôt, il se relèverait.
Bientôt, il marcherait de nouveau.
Et rien, ni le froid, ni le vide, ni la peur, ne le détournerait de cette route.