Chapitre débuté par Jaman Saon
Chapitre concerne : KLAATU BARADA NIKTO, Nardin, La tour de la Kabane, Jaman Saon, félix, gally, awa, bienvenutux, bebelouis, téraize, hanton, jamie,

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Jaman regardait l’horloge à recharge manuelle fixée au mur de son bureau, là-haut dans le mirador sud de la Kabane. Son battement lent et régulier lui rappelait la vieille montre de son père. Pratiquement inutile, l’antiquité devait être rechargée deux ou trois fois par jour tellement le ressort était usé. Le vieil homme n’aurait changé la pièce pour rien au monde. La montre était un relai intergénérationnel qui avait été transmis par le grand-père de son grand-père à son fils, pour marquer la passation du pouvoir décisionnel sur la famille. Une tradition était alors née et la montre passa de main en main au fil des générations. Le récipiendaire était désigné avec soin à la suite d’une étude généalogique menée par le patriarche. Il prenait alors pour charge de former son successeur en parallèle de la tenue de son rang de pilier référent.
Son père avait donc hérité de la montre en plus de la prise des décisions familiales les plus cruciales et de la recherche de son successeur. Avec le temps, la charge de maintenir la montre en état de fonctionnement perpétuel avait pris le pas sur toutes les autres. Il en vint même à organiser l’intégralité de son existence autour de l’accomplissement de cette tâche ô combien importante.
La trotteuse régulière était devenue pour lui le métronome battant le rythme de vie de sa famille et il se réveillait même la nuit pour s’assurer que cette pulsation ne s’arrête jamais.
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En bas du mirador, l’équipe de Daniel achève les préparatifs. Les balles sont assemblées, vérifiées, bourrées dans les chargeurs. Certaines sont même mises en chambre, prêtes à fuser des canons nettoyés avec minutie.
Les réservoirs des véhicules ont été vérifiés ; pas de fuite, même remplis à raz-bord. La musique jouée par les moteurs était écoutée avec la plus vive des attentions par les mécanos de la Kabane. Peu de fausses notes. On examine les pneus, la pression est bonne, l’usure est acceptable.
Pas d’anicroche, les monstres de métal pourront charger sans faire faux-bond.
Des consignes sont répétées par Marge sur un ton sec. La tension monte.
Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic
Avec le temps et en observant son père, Jaman avait appris à reconnaître le moment où la recharge de la montre devenait nécessaire. Le battement s’accélérait, trompant la mesure, tentant par cette action frénétique bien vaine de rattraper le temps qui s’échappe, sur le point d’inéluctablement lui faire défaut.Cette angoisse cadencée, la noire en était venue à la haïr. Elle lui volait son père qui venait systématiquement au secours de la montre, lui offrant le soin réclamé en remontant le ressort et en vérifiant les positions des aiguilles. Des petites morts évitées deux à trois fois par jour. Des petites morts rythmant la vie.
Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic……Tac……Tic
A l’ouest, la cible est sans doute sur le qui-vive. Personne de survivant ne s’en exempterait.
Sur le qui-vive, mais peut-être pas tout à fait consciente de s’être fait un ennemi de taille en menaçant les ressortissants de la Kabane sur son propre territoire. Nardin a joué d’intimidation, mais lorsqu’il lui fut offert de discuter, il préféra se murer dans le silence.
Sur le qui-vive, menaçant, trop confiant. Le cocktail explosif de l’arrogance.
Jaman releva les yeux vers le lointain, la forêt et une piste. Elle soupira. La conviction de prendre la décision qu’il fallait, à défaut d’être la bonne, se renforçait à mesure qu’elle tournait ses pensées pour essayer d’y trouver un défaut auquel accrocher son empathie. Mais on ne lui avait pas laissé de choix. La marche funeste d’une tragédie grecque avait trop bien été cadencée.
Elle soupira à nouveau, comme pour exhaler son stress grandissant.
En bas de la tour, les guerriers prenaient places dans les véhicules. Un convoi impressionnant, une débauche de puissance à l’image du danger représenté par le défi que la Kabane devait relever.
Il n’y avait pas d’autre solution que de la projeter. En un flash fulgurant, illuminer le monde pour marquer les esprits. L’impunité n’existe pas, car elle n’a pas d’autre conséquence que le déferlement de violence, le reflux d’un raz-de-marée prenant l’espace que lui offre la souplesse décisionnelle. Et si les constructions robustes peuvent résister aux assauts d’un raz-de-marée il n’en va souvent pas de même lors que l’eau se retire, arrachant les façades dans sa traîne.
Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…
Il devait y avoir une autre solution.
Comme un coup de poing, Jaman réalise, ouvre les yeux et lève le poing par dessus la garde-corps.
DANIEL !!! hurle-t-elle au shérif. DANIEL, STOP !!! ATTENDEZ ! JE CROIS QUE…
Les véhicules roulaient lentement vers les portes de la ville. Ils s’arrêtèrent. L’intéressé sort la tête, peine à voir la dirigeante en haut de son mirador et met pied à terre avant demander ce qu’il se passe d’un haussement de bras interloqué.
Jaman présente la paume de sa main pour répéter la consigne visant à temporiser. En réaction, Daniel donne l’ordre d’arrêter les véhicules Le contact est coupé.
Jaman quitte la balustrade, retourne à l’intérieur et trouve sa radio.
Elle appelle sur les ondes à moyenne portée. Elle contacte le convoi dans le but de résoudre le problème par la diplomatie. Elle trouve enfin les mots, à la recherche d’un arrangement elle dénoue le quiproquo et écarte les partis erronés pris à la hâte.
Mais Nardin décline. Il se croit intouchable dans son camion et méprise les paroles faibles de la dirigeante. La diplomatie perd. Elle n’a plus de place dans ce monde ravagé.
Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…Tac…Tic…
Jaman regarde le groupe d’assaut s’éloigner. Cette dernière scène n’aura eu lieu que dans sa tête. Elle fait partie des différents scénarios que la noire a envisagé. Aucun ne lui parut convainquant.
Le groupe de défense devait agir. Dans la tragédie qui se jouait sous ses yeux, c’était son rôle. Et Jaman, de son côté, devait assumer la décision. Ce rôle était le sien.
Elle regarde, maussade, le nuage de poussière retomber et écoute le brouhaha motorisé s’étouffer dans le lointain. La mort s’élance et roule vers sa proie. Une petite dizaine d’âmes quitteront ce monde. Chacune d’elle pèsera sur sa conscience.
Pour la Kabane.
Tac.Tic.Tac.Tic.Tac.Tic.Tac.Tic.Tac……………………………………………………………………………...........................................................
Jamais le père de Jaman ne lui légua la montre. Devenu fou à force de compter ses battements, le vieil homme entraînera l’instrument avec lui dans sa tombe, peut avant que le crash remette les pendules à l’heure. Du service de sa famille, il était passé esclave de la montre.
Jamais Jaman n’eut l’occasion de remonter la mécanique elle-même. Jamais elle n’eut l’occasion d’arrêter la mort.