Chapitre débuté par Emilia
Chapitre concerne : farid, Emilia,
La première, alors que tu traversais encore le soleil brûlant avec seulement Assane à tes côtés, t'avait laissé un goût amer. L'homme trainait déjà une femme derrière lui, attachée par une corde. Tu te souviens encore qu'il avait parlé d'elle comme d'une cargaison, une simple marchandise, et qu'il avait sous-entendu que tu finirais par connaitre le même sort. Se voyait-il alors être celui qui tiendrait tes liens ? L'idée te filerait presque la gerbe.
Aujourd'hui, la seconde est arrivée. Tant de choses ont changé depuis. Mais tu n'as pas oublié Farid l'esclavagiste. Tu as su, assez tôt, où il se terrait. Quand une tête est mise publiquement à prix, les langues ont tendance à se délier facilement, ce qui n'a pas manqué le concernant. Ensuite, tout a été une question de patience. Ce dont tu ne manques pas, aussi étonnant que ça puisse paraitre lorsqu'on te voit.
Tu as donc confié tes enfants à Xiao, ta meilleure amie, pour rejoindre cet homme que tu exècres, dardant sur lui un regard empli de mépris. Dans l'une de tes mains, ton arme semble attendre. Dans l'autre pend une corde, récupérée à l'esclave libérée de corps et d'esprit quelques minutes plus tôt.
Tu t'souviens, j't'avais dit qu't'apprendrais, toi aussi, d'quoi est fait l'humanité l'jour où t'aurais une corde autour du cou.
Tu lèves la tête un instant, pour regarder le ciel au-dessus de vous. Tu ne ressens aucun plaisir particulier, aucune excitation malsaine à l'idée de tuer l'esclavagiste. Seule la satisfaction de débarasser ce monde d'une énième ordure t'importe, saupoudrée d'une vengeance toute personnelle.
J'crois qu'ce jour est arrivé connard.
Un coup de crosse dans le genou de l'homme l'envoie à terre, et tu en profites pour venir lui passer la corde autour du cou. Tu la serres lentement, l'oreille tendue vers sa respiration qui se fait de plus en plus difficile. Mais tu ne lui laisses pas l'opportunité d'un dernier mot, un coup de pied dans le dos le faisant tomber au sol où tu l'y maintiens en gardant ta semelle sur lui, pendant que tes mains tirent sur la corde jusqu'à, comme promis, son dernier souffle.
Les corps restèrent étendus dans une flaque de sang collective. Les flammes venaient lécher les squelettes décharnés de quelques abris. La fumée s'élevait comme un troupeau de moutons noirs, prêts à rejoindre les vaporeuses prairies d'azur. L'embarcadère à demi effondré, englouti par les flots paresseux de la rivière locale, rappelait que rien sur terre n’est à l’abri. Des éléments. Des hommes. Des femmes.
Il avait posé son turban, lissé et huilé sa barbe. Sa djellaba, décorée de nouvelles fleurs pourpres, n’indiquait rien de moins qu’il ne lui restait que peu de temps. Il s’agenouilla, portant son front au sol, psalmodiant une sourate oubliée.
Elle arriva comme une furie ; il se releva, pour saluer, à son habitude, mais retomba subitement à terre, sous les coups de la femme dont il se rappelait à peine le visage. Elle ne s’était pas imprimée dans sa mémoire, trop fugace pour être importante. Et pourtant, c'était elle qui serait son bourreau.
Pourquoi Allah le rappelait ainsi ? Il avait failli à sa mission, certainement. Plus sûrement, le cœur de ses semblables n’étaient qu’une noirceur que nul Sauveur ne pourrait détourner du péché. Il soupira, lorsque la corde glissa sur la trachée. Ainsi serait-il. A quoi bon lutter, quand l’ange de la mort est aussi déterminé ? Il lui offrirait ce qu’elle désirait, il lui rendrait son ultime souffle, au milieu d’une bourgade vidée de ses habitants, de ses trésors.
Bab Alsahra, la porte du désert, ne serait plus jamais ce qu’elle voulait être. Et le monde continuerait dans le chaos. Il ferma les yeux, et expira une dernière fois.